18 juin 2018 0 4295 Vues

Maladie de Lyme : « un problème majeur de santé publique »

Pr Christian Perronne, Dr Philippe Raymond 13 juin 2018.

13 juin 2018

Enregistré le 25 mai 2018, à Paris

Avec officiellement 54 000 nouveaux cas de borréliose aiguë par an en France, la maladie de Lyme est devenue un problème majeur de santé publique, selon Philippe Raymond et Christian Perronne. Le point sur l’épidémiologie et les publications actuelles.

TRANSCRIPTION

Christian Perronne — Bonjour, je suis le professeur Christian Perronne, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Raymond-Poincaré à Garches, à l’université de Versailles. Je suis aujourd’hui avec le docteur Philippe Raymond, médecin généraliste à Valence. Nous allons vous parler de la maladie de Lyme et des maladies associées, puisque Philippe Raymond a une grande expérience dans sa pratique quotidienne.

Pourquoi cette émission aujourd’hui ? Parce qu’on s’aperçoit que la maladie de Lyme devient un problème majeur de santé publique, non seulement France, mais dans toute l’Europe et en Amérique du Nord, et que les chiffres sont en train d’exploser. Philippe, veux-tu commenter l’épidémiologie ?

Épidémiologie : une explosion de la présence des tiques et des cas

Philippe Raymond — Oui, effectivement, on se rend compte qu’il y a maintenant une explosion aussi bien du nombre de tiques qu’au niveau de la présence des tiques dans toutes les régions de France − même dans le sud de la France, c’est officiel. On se rend compte aussi, au niveau des chiffres, que ces tiques sont beaucoup plus infectées qu’avant et notamment par un certain nombre de pathogènes qu’on ne connaissait pas ou qu’on n’avait pas dépistés jusqu’à présent, en France comme aux États-Unis, et encore plus dans le reste de l’Europe. Concernant les cas de Borrelia et de borréliose aiguë, le nombre de cas officiels a doublé depuis deux ans en France – on est aujourd’hui (enfin en 2016) à 54 000 cas annuels de borréliose aiguë, mais on sait aussi qu’on a une borréliose aiguë sur deux qui n’est pas diagnostiquée parce que l’érythème migrant n’apparaît pas dans un cas sur deux.

Christian Perronne — L’érythème migrant est la tache en cocarde centrifuge qui apparaît autour de la piqûre. C’est vrai que, quand on regarde les chiffres récents, il y a de quoi avoir peur, parce qu’en France la fréquence de la maladie, alors que les tests n’ont pas changé en dix ans, a été multipliée par 10 ; en Grande-Bretagne j’ai vu qu’ils avaient presque 50 % d’augmentation des paralysies faciales liées à la maladie de Lyme ; dans le sud de la Pologne, la fréquence de la maladie de Lyme a été en quelques années multipliée par 35 — c’est énorme ; et nos collègues américains ont reconnu une augmentation de plus de dix fois en quelques années ; au Canada aussi. Donc partout il y a une énorme augmentation. On pense que le réchauffement climatique joue un rôle, mais aussi, un rapport français qui a dit récemment que la moitié des espèces animales en Europe avait disparu – beaucoup d’oiseaux, de reptiles, de batraciens [ndrl : qui se nourrissaient des tiques]…

Philippe Raymond — …ce qui entraîne, effectivement, une fragmentation et modification des écosystèmes. Aujourd’hui, on se rend compte que les tiques se rapprochent de plus en plus des citadins, des maisons, des jardins et dans la fameuse application où on peut signaler nos piqûres de tiques, qui s’appelle Signalement TIQUE, 30 % des déclarations sont des piqûres qui se sont produites dans des jardins !

Christian Perronne — Donc cela ne s’attrape pas qu’en forêt, c’est un message important quand on va dans la nature.

Recherche actuelle et rapports récents

Christian Perronne — Actuellement, quand on regarde les publications scientifiques dans les grands journaux internationaux, on voit que cela bouge beaucoup, il y a énormément de données qui sortent, qui prouvent l’existence de la maladie de Lyme chronique, de la persistance de la maladie, des problèmes avec les tests diagnostiques, avec les traitements qui sont insuffisants etc. Il y a un rapport écrit à la Haute Autorité de Santé, auquel nous avons participé – nous ne pouvons rien vous dire aujourd’hui parce qu’il y a un retard dans la sortie de ce rapport – mais on espère qu’il y aura un progrès. En tout cas, il y a des données qui avaient déjà été établies par le rapport du Haut Conseil de la santé publique de 2014 et Philippe, tu y étais, donc tu peux en dire un mot ?

Philippe Raymond — Effectivement. J’ai participé à l’élaboration de ce rapport du Haut Conseil de santé publique, qui est sorti le 28 mars 2014 dans lequel on parlait déjà de l’augmentation du nombre de tiques, de ces co-infections, et où on parlait notamment de ce fameux syndrome polymorphe persistant après piqûre de tiques (SPPT), qui montre que dans un certain nombre de cas les patients sont piqués, déclarent une maladie et pourtant on ne trouve pas de sérologie positive, les tests sont pris à défaut et on se rend compte que ces SPPT seraient dus à un certain nombre d’autres co-infections ou de tests qui ne sont pas assez performants. Ce qui est très intéressant, c’est qu’on a eu cette confirmation : les Américains ont travaillé de leur côté. D’une part on espère que ce SPPT serait effectivement reconnu dans le rapport à venir du Programme national de diagnostic et de soins (PNDS), mais surtout ce qui nous conforte c’est que les Américains, effectivement, viennent de mettre au point une symptomatologie à peu près identique.

Christian Perronne — Peux-tu, en deux mots, nous dire quelles sont les grandes lignes de ce qu’on appelle le SPPT, ce syndrome chronique persistant ?

Philippe Raymond — Ce SPPT, qui avait été officiellement établi en 2014 par le Haut Conseil de santé publique, et qui on l’espère va être confirmé, nous montre que ces patients souffrent surtout de trois grands types de symptômes : une fatigue physique qui leur empêche d’avoir leurs activités quotidiennes, une fatigue cognitive avec des troubles de mémoire, un ralentissement, ainsi que tout un syndrome algique qui peut être articulaire, rhumatologique, abdominal, maux de tête… Cependant, pourquoi l’appelle-t-on syndrome polymorphe ou polyorganique ? En fait, on a tout un ensemble de symptômes qui nous montrent qu’on n’a pas uniquement le rhumatologique ou le neurologique qui est atteint, mais tout un ensemble d’autres organes et ce sont tous ces symptômes qui sont effectivement plutôt subjectifs – je ne vais pas vous faire la liste de ces 70 symptômes qui avaient été décrits dans le rapport du Haut Conseil – mais ces symptômes sont confirmés par l’étude Aucott des Américains, qui vient de sortir en 2018.

Christian Perronne — Ce qui est important, c’est que le Conseil l’avait déjà dit, parce qu’on sait que dans ses syndromes chroniques, il n’y a pas que la maladie de Lyme au sens strict, il y a d’autres Borrelia, d’autres maladies, d’autres parasites, qu’on appelle les confections. Le rapport avait dit aux médecins : si vous n’arrivez pas à mettre une étiquette diagnostique sur le malade, que vous avez éliminé un autre diagnostic, qu’il y a une forte suspicion, vous devez donner au malade sa chance en lui prescrivant un traitement antibiotique d’épreuve pendant un mois, qui sera un test diagnostique. Donc on espère que cette recommandation sera entérinée dans les prochaines recommandations.

Philippe Raymond — Ce qui est un énorme progrès. C’est un grand progrès de pouvoir dire à un patient qui, au niveau de l’anamnèse, de tout son historique, de sa symptomatologie, nous oriente vers une maladie vectorielle à tique et, si on est pris en défaut par la biologie qui n’est pas assez performante comme on l’avait dit dans notre rapport du Haut Conseil de santé publique – une phrase en toutes lettres dans ce rapport disait que le doute doit bénéficier au patient – à ce moment-là, un traitement d’épreuve peut être mis en place parce que cela lui change la vie…

Christian Perronne — En sachant que ce n’est pas toujours facile d’interpréter pour le médecin et pour le patient. Quand on fait un traitement d’épreuve, trois fois sur quatre le malade s’aggrave avant de s’améliorer, et du coup le médecin a tendance à arrêter le traitement en se disant que ce sont des effets secondaires ou que cela ne marche pas.

Philippe Raymond — Dans quelques cas, effectivement, on est tous d’accord…

Christian Perronne — C’est modéré, mais quelques fois cela peut être assez fort, c’est donc important à connaître.

Philippe Raymond — Oui. Il peut y avoir une aggravation temporaire des symptômes pendant les 15 premiers jours et il faut le savoir et ne pas arrêter le traitement, effectivement, si on a une aggravation temporaire de certains symptômes, alors que parallèlement à cette aggravation on a d’autres symptômes qui s’améliorent.

Christian Perronne — Il y a un grand bénéfice après, mais il ne faut pas arrêter un traitement trop vite. Ce qui est très intéressant, c’est qu’il y a quelques jours est sorti un rapport – en fait, ce sont six rapports très complets, avec des centaines de pages – publié par le U.S. Department of Health and Human Services (le ministère de la santé américain), qui a fait un travail fantastique en quelques mois : ils ont analysé toute la littérature médicale publiée sur le sujet avec un état des lieux et c’est assez impressionnant tout ce qui ressort de ce rapport et qui va tout à fait dans notre sens.

Philippe Raymond — On est très satisfait, effectivement, même s’il faut lire ces 400 pages de ce rapport très complet qui confirme, effectivement, l’augmentation des tiques, des cas de Borrelia, des co-infections – et notamment ils sont très touchés par la Borrelia miyamotoi, apparemment nous aussi, en France, on commence à l’être, ou la Babesia – et tout cela est confirmé avec des modes de transmission qu’on n’imaginait pas.

Christian Perronne — Ce que j’ai trouvé intéressant dans ce rapport, c’est qu’il a des références scientifiques que certains experts français rejetaient en disant « non ce n’est pas des bonnes publications », qui sont là prises très au sérieux, commentées, et c’est écrit en toutes lettres que :

  • les tests diagnostiques d’aujourd’hui ne sont pas très fiables et que c’est un problème,
  • il n’y a aucune étude qui a bien étudié les stratégies de traitement,
  • la forme persistante de la maladie, après quelques semaines de traitement antibiotique, existe, et il faut l’évaluer,
  • pour les co-infections, il n’y a pas de bons tests diagnostiques, cela a été sous-estimé pendant des années,
  • il n’y a jamais eu vraiment de fonds pour la recherche et que c’est urgent de donner de l’argent pour la recherche dans le domaine de la maladie de Lyme et des co-infections.

Donc c’est exactement ce qu’on dit depuis des années, et cela m’a fait plaisir de lire ce rapport.

Philippe Raymond — Oui. C’est très satisfaisant parce que cela va dans le sens qu’on décrit. On peut espérer que les Américains mettront assez d’argent notamment pour ces fameux tests biologiques qui nous manquent. Plusieurs fois dans ce rapport américain, on lit bien qu’il n’existe pas aujourd’hui de test parfaitement fiable pour dire qu’une maladie de Lyme ou une maladie vectorielle à tique est active. Et ce qu’il nous faudrait, c’est le test idéal qui pourrait nous dire quand un patient est atteint et quand un patient est guéri. C’est ça qu’il nous faudrait. On n’a pas encore ce test.

Christian Perronne — Moi, je suis optimiste pour l’avenir – peut-être pas dans l’avenir immédiat, mais à moyen terme – parce que je vois qu’aux États-Unis ils ont en pris conscience, ils vont mettre beaucoup d’argent sur la recherche. En France, le Ministère de la Santé a quand même commencé à donner des financements pour la recherche, même si pour l’instant c’est modéré – c’est déjà un premier pas. Ce qui m’inquiète un peu, c’est que les résultats de ces recherches, on les aura peut-être dans quatre-cinq ans et il ne faut pas laisser tomber les malades aujourd’hui.

Philippe Raymond — Oui, mais mon côté optimiste me fait voir sur le terrain que les médecins praticiens se rendent compte, effectivement, qu’il y a un hiatus entre ce que l’on a appris à la faculté et la réalité de ces patients, cette errance médicale et l’amélioration, souvent sous traitement antibiotique aussi, et je pense qu’il y a une prise de conscience réelle de tous ces médecins qui ne demandent qu’à bien faire et à être formés avec les futures nouvelles recommandations.

Christian Perronne — Après, le calvaire pour le pauvre malade atteint d’une maladie de Lyme chronique – et c’est aussi un défi terrible pour le médecin − est que soit les signes sont subjectifs (la douleur, la fatigue… on croit ou on ne croit pas le malade, on peut dire que c’est dans sa tête, que c’est inventé, psychosomatique…), soit au bout d’un certain temps, quand on regarde bien, il y a toujours des signes objectifs − il y a des problèmes cardiaques qu’on peut enregistrer à l’électrocardiogramme, il y a des paralysies, il y a des problèmes articulaires, cutanés, il y a des choses objectives qui sautent aux yeux du médecin, mais là, il va toujours mettre cela sur le dos d’une autre maladie, parce que les signes de la maladie de Lyme ne sont pas du tout spécifiques. Donc le rhumatologue va dire que c’est une polyarthrite rhumatoïde, le neurologue va dire [autre chose]…

Philippe Raymond — Cliniquement, c’est assez cocasse médicalement – et je suis désolé pour les patients – de voir que ces patients ont un, deux, trois, quatre diagnostics à la fois ; parce qu’ils ont mal aux articulations, il va y avoir un diagnostic d’une maladie inflammatoire rhumatismale, ils ont mal au ventre, donc en plus ils vont cumuler un diagnostic de maladie inflammatoire intestinale, ils vont cumuler un diagnostic de dépression, ils vont cumuler un diagnostic dermatologique ou bucco-dentaire ou pulmonaire… C’est impressionnant.

Christian Perronne — Moi j’ai eu des exemples assez drôles – mais ce n’est pas drôle pour le malade : j’ai vu un patient qui avait vu à huit jours d’intervalle deux grands professeurs de neurologie parisiens et le premier lui a dit « vous avez une sclérose en plaques, c’est certain » et il est allé voir le deuxième de l’hôpital d’à-côté qui lui a dit « je peux vous jurer que vous n’avez pas de sclérose en plaques ». Et j’ai vu aussi, il n’y a pas très longtemps, un malade avec les mêmes symptômes qui a vu un neurologue qui lui a dit « vous avez la sclérose en plaques », et un rhumatologue qui lui dit « vous avez la polyarthrite rhumatoïde ».

Cette errance est terrible.

Philippe Raymond — Elle est terrible, oui. Effectivement nous médecins on a appris à étiqueter ces patients selon les symptômes prédominants, mais ces patients ont un tableau polymorphe, polyorganique et effectivement, selon que le symptôme prédominant va être rhumatologique, neurologique, digestif ou autre, ce patient va voir un diagnostic posé…

Christian Perronne — Donc je crois qu’en attendant les bons tests, pour résumer, c’est le traitement d’épreuve qui est la clé.

Transmissions materno-fœtales

Christian Perronne — Alors, puisque tu as lu les centaines de pages du rapport américain, est-ce que tu peux nous dire un mot sur ce qu’ils disent des transmissions materno-fœtales ?

Philippe Raymond — C’est effectivement un problème épineux puisqu’en France on considère que la Borrelia peut être transmise à l’enfant pendant la grossesse si la mère a été atteinte d’une maladie de borréliose aiguë, mais on considère qu’on n’a pas assez de cas de morbidité pour dire que l’enfant n’est pas spécialement atteint, même s’il possède dans son sang des PCR positifs au spirochète de Borrelia. Par contre, les Américains ont dit en toutes lettres qu’un certain nombre de co-infections pouvaient être transmises aussi par voie materno-fœtale : il s’agit, entre autres, de la Babesia, parasite qui co-infecte souvent aux États-Unis – ils en parlent beaucoup dans ce rapport – les maladies vectorielles à tique, ainsi que la Borrelia miyamotoi, qui est une Borrelia particulière et, en toutes lettres, c’est écrit, effectivement, qu’elle peut être transmise par voie materno-fœtale.

Christian Perronne — C’est intéressant et c’est vraiment la recherche qui permettra d’avancer. Comme je suis un optimiste incurable, j’espère que nous aurons des résultats grâce à la recherche dans quelques années et qu’on pourra clore dans un avenir proche cette « guerre du Lyme » qui n’a plus de sens aujourd’hui quand on regarde les publications scientifiques et qui est très nuisible pour les malades. Il faut donc donner un message d’espoir aux malades et j’espère que les recommandations françaises qui vont sortir bientôt permettront aux médecins français de mieux soigner les malades.

LIENS

Medscape © 2018 WebMD, LLC

Les opinions exprimées dans cet article ou cette vidéo n’engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de WebMD ou Medscape.

Citer cet article: Maladie de Lyme : « un problème majeur de santé publique » – Medscape – 13 juin 2018.

Previous Conférence de presse
Next Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire 19 juin 2018