Alain Trautmann : « La maladie de Lyme pourrait être un nouveau scandale sanitaire en France »

Source : Sciences et Avenir Par Rédacteur le 30.11.2017

Alain Trautmann, Directeur de recherche CNRS émérite, successivement neurobiologiste (Ecole Normale Supérieure, University College London) puis immunologiste. Médaille d’argent 2010 du CNRS. Travaille sur l’immunothérapie des cancers à l’Institut Cochin (Paris).

©Cyril Frésillon / CNRS Photothèque

ANTIBIOTIQUES. La maladie de Lyme est provoquée par la piqûre de tiques porteuses de plusieurs pathogènes dont Borrelia, une bactérie spirochète (en forme d’hélice). Si la piqûre de tique déclenche une réaction inflammatoire aiguë caractéristique correctement détectée, l’infection peut être éradiquée par la prise immédiate d’antibiotiques. Mais si ces signes ont échappé à l’observation, la personne risque de développer une maladie chronique. Or, cette maladie chronique n’est aujourd’hui pas reconnue en France, en dépit de données scientifiques indiscutables qui en démontrent l’existence.

La position officielle en France est donnée par la conférence de consensus de 2006[1] . Elle est défendue par le CNR (Centre national de référence des Borrelia ), à Strasbourg, fortement soutenu par l’Académie de Médecine[2] . Ces deux institutions s’appuient sur les recommandations de l’IDSA (Infectious Diseases Society of America) aux Etats-Unis. Ces différentes structures défendent quelques affirmations cruciales :

  1. La maladie de Lyme est facile à détecter grâce à des tests fiables à 100%
  2. Tout patient traité pendant 3 à 4 semaines par antibiotiques est guéri.
  3. La forme chronique de la maladie n’existe pas
  4. Les formes kystiques de Borrelia (formes résistantes aux antibiotiques) sont des artefacts obtenus in vitro, ils n’existent pas in vivo.
  5. Les co-infections par d’autres pathogènes que Borrelia sont rares.

Toutes ces affirmations sont fausses, et démenties par des faits scientifiques établis comme on va le voir. Ce déni de réalité est très grave, car, en empêchant de s’attaquer correctement à cette maladie, il crée des souffrances majeures pour les patients, et pourrait déboucher sur un scandale sanitaire qui peut être évité si l’on met fin énergiquement à ce déni de réalité.

CONTROVERSE. Qu’est-ce qui peut expliquer un tel déni ? 1) La maladie de Lyme chronique est, pour des raisons que l’on va expliciter, difficile à diagnostiquer, difficile à traiter, notre ignorance à son sujet est très importante. Savoir reconnaître son ignorance est souvent indispensable, mais certains y répugnent. 2) Des médecins qui, à un moment ont pris des positions tranchées ont ensuite refusé d’en démordre. 3) CNR et Académie dénient toute compétence aux associations de malades, même lorsqu’elles s’appuient sur des scientifiques et des médecins en leur sein, et sur les observations détaillées des patients (comme ce fut le cas d’Act up pour le sida). 4) L’absence d’un traitement efficace laisse la porte grande ouverte à de nombreux charlatans, qui brouillent le paysage et renforcent le CNR et l’Académie dans leur position intransigeante et crispée. 5) Aux Etats-Unis, le déni de la forme chronique de Lyme arrangeait bien les assurances médicales qui ne souhaitaient pas rembourser des traitements longs.

Aux Etats-Unis, le CDC (Centre pour le contrôle et la prévention des maladies) comptabilisait 30.000 nouveaux cas de Lyme chaque année jusqu’en 2013. Cette année-là, ce chiffre a été multiplié par 10. Des enquêtes épidémiologiques sur plusieurs années menées auprès de cliniciens et d’assurances médicales avaient montré que le nombre réel de malades était effectivement très supérieur au nombre de cas officiellement transmis au CDC[3]. Toujours aux Etats-Unis, il y a une véritable guerre1 entre deux associations, l’IDSA et l’ILADS (International Lyme and Associated Diseases Society). La seconde, regroupant de nombreux malades et médecins, se bat pour la reconnaissance de la réalité de la forme chronique de la maladie. Pendant longtemps, seuls les critères de l’IDSA étaient reconnus officiellement, par le CDC ou par le NGC (National Guidelines Clearinghouse), une base de données qui fournit les informations de référence pour les professionnels de santé et les compagnies d’assurance. En 2016, si le CDC n’a rien changé, le NGC a retiré de son site les critères de l’IDSA pour afficher ceux de l’ILADS. Mais avant cela, entre 2009 et 2011, les Etats du Connecticut, Massachusetts, Rhode Island et de Californie avaient déjà modifié leurs lois de santé autorisant la prescription d’antibiotiques à long terme dans la maladie de Lyme[4]. Et le 1er août 2016, le Sénat du Massachussetts, un des Etats les plus touchés par la maladie de Lyme (et qui concentre aussi énormément de chercheurs), a voté une loi obligeant les assurances de santé à rembourser les traitements à long terme par antibiotique pour la maladie de Lyme. Ceci revient à reconnaître officiellement l’existence d’une maladie chronique.

SCANDALE. Pourquoi de telles incertitudes sur la maladie de Lyme ? La première raison est que Borrelia est une bactérie spirochète qui peut adopter plusieurs formes. On peut observer de longues spirales mobiles, ou des amas immobiles appelés biofilms 2, très résistants aux antibiotiques 3, ou de petits kystes, vivant au ralenti, également résistants aux antibiotiques habituels. Ces formes résistantes expliquent qu’un traitement antibiotique ne permet pas d’éradiquer définitivement la bactérie, sauf lorsqu’il est donné juste après la piqûre de tique 4,5.

Autre point d’achoppement. Le test de première ligne utilisé en France pour dépister la maladie de Lyme est un test ELISA (enzyme-linked immunosorbent assay). Celui vendu par la société BioMérieux (50% du marché) recherche l’existence d’anticorps que le patient aurait fabriqué contre trois espèces de Borrelia, dont Borrelia burgdorferi, l’espèce la plus représentée… aux Etats-Unis ! Il ne permet donc pas de détecter de nombreuses autres espèces de Borrelia présentes en Europe. De plus, d’anciennes recommandations européennes utilisées dans l’hexagone pour des maladies rares fixent le seuil de sensibilité de l’ELISA de façon à ce que 90% à 95% des tests réalisés soient négatifs[5] . Or, l’affirmation que la maladie de Lyme est rare est totalement arbitraire. On sait que le pourcentage de faux négatifs avec le test ELISA est très élevé. L’ILADS estime qu’il serait de l’ordre de 35% aux Etats-Unis[6]. Il n’a aucune raison d’être plus bas en Europe.

Pour détecter la présence d’anticorps anti-Borrelia, l’Allemagne utilise un autre test, le Western Blot (WB). Celui-ci permet de visualiser 8 anticorps dirigés spécifiquement contre 6 espèces de Borrelia trouvées en Europe. Par sa conception, ce test est beaucoup plus sensible que l’ELISA français. Il n’est pas étonnant que le nombre de cas de borréliose détectés en Allemagne soit 10 fois plus élevé qu’en France. Or en France, le WB n’est utilisé que comme test de confirmation des ELISA positifs. On admirera la logique du CNR : si le test le moins fiable est positif (ELISA), alors on utilisera le test le plus fiable (Western-Blot) pour confirmer pour confirmer le premier. Et tant pis pour les patients faux-négatifs, considérés comme des malades imaginaires, déclarés négatifs par ELISA alors qu’ils auraient pu être dépistés avec le Western Blot.

PATHOGENES. Il est aussi possible de détecter directement dans le sang la présence d’ADN caractéristique de Borrelia, par PCR (Polymerase chain reaction). Mais sa présence en très faible quantité dans le sang rencontre parfois les limites de sensibilité de la méthode. Cependant, dans le cas du Lyme, elle a l’énorme avantage de permettre de rechercher non seulement Borrelia mais les nombreux autres pathogènes co-injectés par la tique au moment de la piqûre : des bactéries (Ricksettia, Bartonella), des parasites toxiques (Babesia) ou des virus. Même si la borréliose est correctement traitée, ces pathogènes co-injectés peuvent prendre le relais pour entretenir un état pathologique 6. Les traitements contre des bactéries, des parasites et des virus ne sont pas les mêmes 7. Il est donc très important de rechercher ces agents co-infectants pour pouvoir les traiter. Le test par PCR disponible en France, n’était, jusqu’à peu, utilisé qu’en milieu hospitalier lors de suspicion d’une forme neurologique grave. Le choix de certains médecins de l’utiliser, à la charge financière du patient, est déconseillé par le CNR.

Reprenons les 5 affirmations du CNR et de l’Académie de Médecine, toutes fausses. En réalité :

  • La maladie de Lyme n’est pas facile à détecter, les tests ELISA donnent trop de faux négatifs. Une méta-analyse récente8l’a établi.
  • Un traitement antibiotique de 3 – 4 semaines ne permet pas toujours de guérir. De nombreux exemples d’individus traités avec des antibiotiques et toujours infectés après ont été publiés 910.
  • La maladie de Lyme chronique existe.
  • Des preuves très claires de l’existence in vivo de formes kystiques de Borrelia ont été publiées 1110 12 13 14.
  • Après une piqûre de tique, les co-infections par d’autres pathogènes que Borrelia sont la règle et non l’exception. 1516 6.

Défendre des positions contraires aux faits scientifiquement établis, ce n’est pas une opinion, c’est du déni de réalité. Pour un scientifique, c’est une faute professionnelle. Le problème est que, pour Lyme, en France, le CNR et l’Académie de médecine qui nient la réalité, sont en situation de pouvoir. C’est le message dominant, très largement diffusé auprès du grand public comme dans l’émission diffusée sur internet « Les Jeudis de la formation » (les 12 et 22 octobre 2017[7]) consacrée à la maladie de Lyme. Toutes les positions anti-scientifiques y sont affirmées, avec l’omnisicence de médecins affichant leur mépris pour les associations de malades dépeints comme illuminés, ignorants et manipulés, qui n’ont pas droit à la parole.

Les fausses controverses entretenues par déni de la réalité sont vouées à disparaître, car les faits scientifiques finissent par s’imposer. En attendant, elles créent des souffrances inutiles, inacceptables, et pourraient déboucher sur un scandale sanitaire comme notre pays en a déjà connus.

Il faut aujourd’hui commencer par reconnaître notre trop grande ignorance sur la maladie de Lyme, pour pouvoir s’attaquer à la faire reculer, en favorisant les recherches sur ce sujet. Ce qui suppose qu’on y affecte des moyens. Il faudra que d’autres tests soient utilisés et remboursés. Il faudra adopter, au niveau international des critères d’évaluation indiscutables, « gold standard » comme cela a été proposé 1.

Références

  1. Stricker, R. B. & Johnson, L. Lyme disease: call for a ‘Manhattan Project’ to combat the epidemic. PLoS Pathog. 10, e1003796 (2014).
  2. Sapi, E. et al. Evidence of In Vivo Existence of Borrelia Biofilm in Borrelia l Lymphocytomas. Eur. J. Microbiol. Immunol. 6, 9–24 (2016).
  3. Feng, J., Weitner, M., Shi, W., Zhang, S. & Zhang, Y. Eradication of Biofilm-Like Microcolony Structures of Borrelia burgdorferi by Daunomycin and Daptomycin but not Mitomycin C in Combination with Doxycycline and Cefuroxime. Front. Microbiol. 7, 62 (2016).
  4. Hodzic, E., Feng, S., Holden, K., Freet, K. J. & Barthold, S. W. Persistence of Borrelia burgdorferi following antibiotic treatment in mice. Antimicrob. Agents Chemother. 52, 1728–1736 (2008).
  5. Feng, J. et al. Identification of novel activity against Borrelia burgdorferi persisters using an FDA approved drug library. Emerg. Microbes Infect. 3, e49 (2014).
  6. Moutailler, S. et al. Co-infection of Ticks: The Rule Rather Than the Exception. PLoS Negl. Trop. Dis. 10, e0004539 (2016).
  7. Lawres, L. A. et al. Radical cure of experimental babesiosis in immunodeficient mice using a combination of an endochin-like quinolone and atovaquone. J. Exp. Med. 213, 1307–1318 (2016).
  8. Cook, M. J. & Puri, B. K. Commercial test kits for detection of Lyme borreliosis: a meta-analysis of test accuracy. Int. J. Gen. Med. 9, 427–440 (2016).
  9. Rudenko, N. et al. Isolation of live Borrelia burgdorferi sensu lato spirochaetes from patients with undefined disorders and symptoms not typical for Lyme borreliosis. Clin. Microbiol. Infect. Off. Publ. Eur. Soc. Clin. Microbiol. Infect. Dis. 22, 267.e9-15 (2016).
  10. Embers, M. E. et al. Persistence of Borrelia burgdorferi in rhesus macaques following antibiotic treatment of disseminated infection. PloS One 7, e29914 (2012).
  11. Berndtson, K. Review of evidence for immune evasion and persistent infection in Lyme disease. Int. J. Gen. Med. 6, 291–306 (2013).
  12. Alban, P. S., Johnson, P. W. & Nelson, D. R. Serum-starvation-induced changes in protein synthesis and morphology of Borrelia burgdorferi. Microbiol. Read. Engl. 146 ( Pt 1), 119–127 (2000).
  13. Miklossy, J. et al. Persisting atypical and cystic forms of Borrelia burgdorferi and local inflammation in Lyme neuroborreliosis. J. Neuroinflammation 5, 40 (2008).
  14. Sapi, E. et al. Evaluation of in-vitro antibiotic susceptibility of different morphological forms of Borrelia burgdorferi. Infect. Drug Resist. 4, 97–113 (2011).
  15. Berghoff, W. Chronic Lyme Disease and Co-infections: Differential Diagnosis. Open Neurol. J. 6, 158–178 (2012).
  16. Vayssier-Taussat, M. et al. Next generation sequencing uncovers unexpected bacterial pathogens in ticks in western Europe. PloS One 8, e81439 (2013).

 

[1] http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/2006-lyme-long_2_.pdf

[2] http://www.academie-medecine.fr/communique-de-presse-du-26102017-lacademie-de-medecine-denonce-les-tromperies-a-propos-de-la-maladie-de-lyme/

[3] https://www.cdc.gov/lyme/stats/humancases.html

[4] Franklin, J.B. https://www.aldf.com/pdf/Antibiotic_Maximalism_2012.pdf

[5] https://web.archive.org/web/20051228100049/http://www.oeghmp.at:80/eucalb/diagnosis_serology-minstandards.html

[7] http://www.frequencemedicale.com/index.php?op=Formation&type=Jeudis-de-la-Formation&action=index&emissionID=2094&fmnl=

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