Antibiotiques et maladies intestinales : les probiotiques sont-ils nécessaires ?

Dimitri Jacques  rédigé le 18 décembre 2018 à 16h20

Devons-nous prendre des probiotiques pour éviter la diarrhée et autre désagrément intestinal souvent associé à la prise d’antibiotiques ? Une récente étude israélienne laisse entendre que non. Plus inquiétant, il y aurait un risque de complications lié à ces compléments. Nos chers probiotiques, presque entrés dans les mœurs, sont-ils bons à jeter aux orties ?

L’intestin est le lieu où les défenses immunitaires sont les plus fortes. Leur efficacité dépend d’un dialogue continu entre les cellules et le monde bactérien. Installées dans nos villosités intestinales de manière permanente, des bactéries dites symbiotiques participent directement à la régulation de la réponse immunitaire et des phénomènes inflammatoires. Il n’y a pas, en soi, de « bonnes » ou de « mauvaises » bactéries. Il s’agit plus d’une question de répartition et de quantité.

De l’intérêt des probiotiques

Les antibiotiques, aussi nécessaires qu’ils puissent être dans certains cas, sont une arme à double tranchant. S’ils rapportent les bactéries pathogènes à des proportions normales, ils peuvent également, selon les susceptibilités individuelles, s’attaquer aux bactéries symbiotiques. Plusieurs études ont montré que les antibiotiques à large spectre, prescrits en première intention lors d’infections courantes, réduisent la diversité du microbiote. L’amoxicilline, par exemple, divise par deux le taux de Bifidobacterium bifidum chez l’enfant. Et la perméabilité de la muqueuse est augmentée, avec le risque d’accueillir des bactéries opportunistes (Clostridium, Candida albicans, Klebsiella…).

Les probiotiques sont censés éviter ou limiter ces phénomènes. Il s’agit de bactéries présentées en gélules ou en sachets, sélectionnées pour renforcer le microbiote résident. L’OMS les définit comme des micro-organismes vivants qui, ingérés en quantité suffisante, exercent des effets bénéfiques sur l’hôte.

Les probiotiques agissent principalement :

  • En apportant des bactéries manquantes, par concurrence sur les sites d’implantation intestinaux ;
  • En stimulant les symbiotiques, notamment en produisant des molécules qui favorisent leur croissance ;
  • À l’inverse, en produisant des molécules antimicrobiennes qui repoussent les opportunistes ;
  • En stimulant ou régulant le système immunitaire.

Toutefois, les probiotiques demeurent un coup de pouce transitoire. On ne peut pas leur demander de s’implanter durablement au sein du microbiote résident. En effet, la majeure partie des bactéries symbiotiques étant anaérobies, c’est-à-dire vivant en l’absence d’oxygène, il n’est pas possible de les mettre en gélules. Mais les nouvelles technologies, en particulier en génie génétique, pourraient changer la donne.

Vertus démontrées et compréhension grandissante

Les effets des probiotiques sur la gastro-entérite aiguë de l’enfant sont définitivement démontrés. Pour les diarrhées infectieuses chroniques de l’adulte, la littérature médicale est moins catégorique. Certains probiotiques, en limitant l’adhésion des bactéries pathogènes à la muqueuse intestinale et en protégeant l’intégrité de celle-ci, peuvent diminuer les conséquences de ce type de diarrhées, voire les prévenir, mais pas chez tout le monde. La souche Lactobacillus GG, par exemple, a été identifiée pour ses capacités à réduire la diarrhée à rotavirus chez l’enfant.

Pour l’enfant, la prise de probiotiques en prévention de la diarrhée, associée aux antibiotiques (DAA), fait partie des recommandations claires de la Société européenne de gastroentérologie pédiatrique. Là encore, les études sont moins probantes pour l’adulte. L’intérêt des probiotiques dans le traitement de la DAA a pourtant été consacré par une méta-analyse de 2012, regroupant 34 études et totalisant 4 138 patients, enfants comme adultes. L’analyse statistique montrait une diminution de 53 % des cas de DAA par rapport au placebo.

L’efficacité d’une souche probiotique dépend de très nombreuses variables. Or, notre compréhension même du microbiote ne cesse d’évoluer. Les bifidobactéries, bactéries majoritaires chez le nourrisson – plus encore lorsqu’il est nourri au sein –, diminuent ensuite avec l’âge. Une supplémentation avec la souche B. lactis a montré une amélioration de l’immunité chez l’adulte. Certains travaux font justement état d’une meilleure réponse aux probiotiques quand B. lactis est de la partie.

Dans le cas des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), la prise de probiotiques allonge la durée des périodes de rémission. Une méta-analyse de 2015 montre la capacité de différents probiotiques (lactobacilles et bifidobactéries) à diminuer la douleur et la sévérité des symptômes chez 1 800 patients adultes atteints d’un syndrome de l’intestin irritable. On observe, en même temps, une diminution des marqueurs biologiques de l’inflammation. Car c’est bien la capacité des probiotiques à influencer le système immunitaire qui intéresse les chercheurs.

Les deux souches qui reviennent le plus souvent dans les études probantes sont Lactobacillus rhamnosus GG et Lactobacillus acidophilus NCFM. Elles se sont montrées capables d’induire la production de cytokines anti-inflammatoires ainsi que l’expression des gènes des TLR, au cœur du dialogue entre les cellules immunitaires intestinales et le monde microbien.

Des confusions et des approximations préjudiciables

L’étude israélienne, qui remet en cause l’intérêt d’une supplémentation en probiotiques et pointe à ses possibles effets pervers, est trop lacunaire pour prétendre en tirer des conclusions et les médiatiser tout de go. Outre le nombre très limité de participants, les souches utilisées n’ont jamais été validées pour cet usage et les probiotiques, donnés seulement une fois l’antibiothérapie terminée. Or, les derniers consensus indiquent clairement que les probiotiques doivent être pris dès le début du traitement antibiotique, puis poursuivis deux semaines après la fin de celui-ci.

Une seule gastro-entérite est capable de modifier profondément le microbiote. Et on ne peut pas forcément attendre qu’il se corrige de lui-même avec, pour uniques alliés, le temps et les règles hygiéno-diététiques. C’est un jeu de chaises musicales, les places laissées vacantes peuvent se retrouver occupées durablement par des bactéries opportunistes. Le risque de chronicisation est réel : selon les données de l’European Society for Primary Care Gastroenterology (ESPCG), le quart des syndromes de l’intestin irritable (SII) s’installe à la suite d’un épisode infectieux aigu. Ces perturbations graves du microbiote sont même impliquées dans des troubles psychiatriques.

Pour le Dr Jean-Marc Chatel, de l’Inra, « la perte de diversité bactérienne est ce qui ressort en commun de toutes les études sur l’état du microbiote pour chaque pathologie ». Un appauvrissement qui se concrétise par une baisse des capacités de résistance et d’adaptation de l’organisme. La vraie question est donc plutôt celle des conditions d’utilisation et d’évaluation des probiotiques aujourd’hui :

  • L’effet probiotique dépend de la souche, qui doit alors être parfaitement identifiée.
  • Les bénéfices obtenus avec une souche ne peuvent pas être généralisés, les résultats changeant d’une souche à l’autre. Au sein même des lactobacilles et des bifides, il s’en trouve de tout à fait inutiles à l’être humain, voire de contre-productives pour la santé dans certaines conditions physiologiques.
  • Le « polymorphisme génétique », qui correspond aux états alternatifs de l’ADN dans un pourcentage de la population, peut être suffisant pour invalider les effets habituellement probants de telle ou telle souche.
  • De quel microbiote parlons-nous ? Dans l’intestin, il existe une flore dominante, quasi exclusivement anaérobie, une sous-dominante, qui peut accueillir des aérobies comme les lactobacilles, et une de passage, non-résidente, qui est évacuée dans les selles.
  • La distribution des populations bactériennes change selon la profondeur à laquelle elles se trouvent dans les villosités.
  • Une dysbiose n’est pas si simple : de « bonnes » bactéries peuvent devenir « mauvaises » dans certains contextes.
  • Le microbiote ne se résume pas aux bactéries, il est aussi composé de levures, de virus et de phages. Qu’en est-il de l’état de ces micro-organismes chez les patients inclus dans les études ?

En 2009, déjà, une polémique avait eu lieu concernant les probiotiques, accusés de favoriser l’obésité. Nous devons être très précis sur les familles et les souches de bactéries dont il est question. Dans ce domaine, les approximations sont inacceptables. Si les bactéries retrouvées à la fois chez l’obèse et dans les probiotiques figurent parmi les lactobacilles et les bifides, précisons qu’il ne s’agit pas des mêmes souches. Depuis, la littérature scientifique a recensé de nombreux travaux sur le rôle des probiotiques dans l’accompagnement de la perte de poids, notamment leur capacité à influencer positivement le métabolisme, la glycémie et les signaux de satiété.

Probiotiques qui ne fonctionnent pas : une question de génétique ?

Une piste sérieuse pourrait expliquer l’inefficacité des probiotiques chez certaines personnes. Le gène FUT2 code pour une enzyme appelée fucosyltransférase. Celle-ci est chargée de produire le fucose, une molécule présente sur l’épithélium intestinal qui permet aux bactéries symbiotiques de s’y fixer puis de se développer. Or ce gène est sujet à un polymorphisme dans la population humaine, ce qui signifie qu’une partie d’entre nous, 20 % en l’occurrence, ne l’exprime pas. L’implantation des bifides est retardée chez le nourrisson dont la mère n’exprime pas le gène FUT2, le fucose étant normalement présent dans le lait maternel. Les probiotiques, incapables de se maintenir, pourraient alors contribuer au désordre. Des travaux suggèrent l’utilité d’un dépistage chez les patients atteints de MICI, concernés par une candidose ou une dysbiose complexe. Pour les non-porteurs du gène, des traitements devraient arriver en France très prochainement.

Établir des profils génomiques, rechercher les polymorphismes individuels serait peut-être plus pertinent que de lancer des études générales pour démontrer l’impact de tel microbe ou telle molécule pour chaque pathologie. En effet, chaque sous-groupe de population humaine a sa vulnérabilité spécifique qui peut être mesurée par des tests, modifiée par l’alimentation et l’hygiène de vie, faire l’objet de statistiques de prédiction des maladies et donc de mesures préventives et d’éducation à la santé.

Développer des bactéries ciblées

La majorité des probiotiques actuellement sur le marché sont des « cocktails » dont la précision thérapeutique et les justifications sont fluctuantes. Demain, grâce à une meilleure connaissance des souches, celles-ci seront proposées individuellement et pourront intégrer l’arsenal thérapeutique pour telle ou telle maladie.

La recherche se concentre sur le développement de nouveaux probiotiques directement issus du microbiote humain. Les souches agissant sur l’axe intestin-cerveau sont particulièrement traquées. La stratégie se base sur l’identification, pour chaque pathologie, de microbiotes sains et dysbiotiques, la comparaison permettant de faire ressortir les bactéries candidates qui restent ensuite à valider sur modèle animal puis humain.

Dans le domaine des MICI, les souches L. plantarum et L. rhamnosus GG semblent améliorer la symptomatologie du syndrome de l’intestin irritable et de la rectocolite hémorragique, avec une efficacité comparable à celle du traitement standard. Quant à la bactérie Faecalibacterium prausnitzii (F-prau), elle compte parmi les nouveaux espoirs. Présente en quantité chez les personnes saines, elle se trouve diminuée, voire absente des patients atteints de MICI. Un climat inflammatoire accroît fortement le risque que des bactéries pathogènes s’installent durablement. Clairement identifiée comme anti-inflammatoire, F-prau a montré des effets bénéfiques dans le traitement du SII et de maladie de Crohn. Elle sécrète des molécules agissant sur le système immunitaire, notamment sur les cellules dendritiques et les lymphocytes T-Reg, dont le rôle est crucial dans l’équilibre de la réponse immunitaire, la tolérance digestive et le maintien d’un microbiote sain.

F-prau est une bactérie anaérobie stricte, extrêmement sensible à l’oxygène, ce qui la rend difficile à manipuler. Pour réussir à en faire des probiotiques, il faut trouver des souches capables de supporter l’oxygène. Une start-up française est sur le point d’y parvenir et va procéder aux premiers essais. La manipulation génétique des bactéries est une autre piste. Enfin, il reste la stratégie plus classique, consistant à développer des bactéries qui stimulent la croissance de F-prau.

Des efforts sur la qualité indispensables

Aucune recommandation générale ne peut être faite, seulement des conseils individualisés. Les probiotiques souffrent peut-être d’une vulgarisation trop hâtive. Il circule beaucoup de généralisations, de confusions et de contresens, alors qu’il existe une recherche à la pointe avançant de manière concrète. Le Pr Claudio De Simone, qui a mis au point des probiotiques hautement dosés positionnés sur les MICI et ayant fait l’objet de plusieurs essais cliniques (Vivomixx 450), milite pour un contrôle strict de la qualité des produits : « Rien, à l’heure actuelle, ne contrarie l’arrivée sur le marché d’un probiotique dont la composition et le processus de fabrication n’ont pas été testés. »

En effet, des études ont comparé des produits identiques en composition, avec des différences parfois importantes en matière d’efficacité et de sécurité. Retenons, comme gages d’efficacité d’un probiotique : la qualité du produit, le choix de la souche, un dosage suffisant, une posologie adaptée, la juste indication thérapeutique et, bien sûr, une bonne connaissance du patient.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé

 

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